Sur réservation MAIL - TEL: 07 79 99 39 43
Sur réservation MAIL - TEL: 07 79 99 39 43
Sur réservation MAIL - TEL: 07 79 99 39 43
Sur réservation MAIL - TEL: 07 79 99 39 43
Lika Nüssli (née en 1973) est l’une des dessinatrices les plus connues du milieu de l’art contemporain suisse. Sur le terrain de l’art narratif, elle observe, explore et expérimente différentes expressions jusqu’à des formes libres. Son œuvre multiforme comprend le dessin, l’illustration, la bande dessinée, la peinture, les installations, les performances et les textes.
Après une formation en design textile, Lika Nüssli étudie l’illustration à la Haute école d’art et de design de Lucerne. Elle débute sa carrière en créant et en illustrant des livres d’images pour un jeune public. De nombreux adolescents connaissent ses illustrations dans les cahiers de l’Œuvre Suisse des lectures pour la Jeunesse. Elle est coéditrice du célèbre magazine de BD «Strapazin», enseignante à l’École de design de Saint-Gall et médiatrice artistique engagée. Dans le cadre de voyages et de programmes d’ateliers à l’étranger, Lika Nüssli se penche sur des thèmes sociaux et politiques, et élargit ses moyens expressifs au-delà du dessin. L’artiste est présente dans des expositions dans le contexte de la bande dessinée, mais aussi dans les musées d’art, et a été récompensée à plusieurs reprises pour son travail.
Réalisée en étroite collaboration avec Lika Nüssli, l’exposition présentée ici est sa première grande rétrospective. Elle comprend des travaux de toutes les périodes de création, complétés par des œuvres créées expressément pour l’exposition. En outre, elle montre pour la première fois les dessins originaux de son nouveau roman graphique «Starkes Ding» qui raconte la jeunesse de son père en tant qu’enfant placé.
Dans le cadre du séjour de Lika Nüssli à l’atelier Mondial de Bâle et en coopération avec des institutions telles que Jazzcampus Basel ou Fumetto, le Festival international de la BD de Lucerne, un riche programme de manifestations et de médiation a vu le jour. L’artiste sera régulièrement présente à l’exposition.
De nombreux travaux de Lika Nüssli ont été réalisés pendant ses voyages, lors de séjours parfois pro- longés à Belgrade, Paris, Saint-Pétersbourg, Moscou, au Caire et en Palestine. Ils sont marqués par la nostalgie d’un monde originel, presque révolu chez nous, fait d’artisanat et d’agriculture, de marchés et de fêtes, et par la présence d’une nature sauvage. En quête d’originalité et d’étrangeté, Lika Nüssli s’intéresse à l’état de la société qu’elle rencontre et réagit à des thèmes sociopolitiques comme la répression et la censure de l’État ou le statut des femmes.
Ainsi, elle traite sa rencontre à Moscou avec des personnes engagées du mouvement LGBTQ dans une bande dessinée autour de la jeune lesbienne Nadjeschda (espoir), qui se retrouve dans la vision fantastique d’une Russie dont les mentalités commencent à s’ouvrir. En 2020, à Belgrade, capitale de la République de Serbie, Lika Nüssli est contrainte de rester sur place pendant des mois à cause de la pandémie. Isolée, elle se penche sur les signes qu’elle lit dans une société certes en plein développement économique, mais négligente en termes de questions sociales et écologiques. Dans les cours d’eau fortement pollués du Danube et de la Save, elle saisit le contraste qui existe entre les personnes privilégiées et les problèmes du jeune État.
Les carnets de dessin sont une source importante du travail de Lika Nüssli. Elle y consigne ses impres- sions et ses idées sous forme d’esquisses. Le matériel qu’elle y rassemble est à la fois le point de départ et la matière première pour des travaux ultérieurs qui condensent davantage ce qui a été préparé dans les carnets.
Que ce soit des livres d’images pour enfants et adolescents, des illustrations pour l’Œuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse, des histoires pour des magazines et des journaux ou des travaux pour des expositions thématiques, Lika Nüssli utilise les réceptacles les plus divers comme terrains de jeu et d’expérimentation.
L’artiste suisse maîtrise un grand éventail de styles et de formats narratifs. Avec grande aisance, elle entrelace ses personnages et ses panels d’éléments floraux et ornementaux. Sa palette artistique s’étend de dessins très stylisés en noir et blanc, aux contrastes violents, à des peintures détaillées presque réalistes, marquées par des dégradés discrets. Elle illustre à l’encre par exemple «Im Kopf des Monsieur Tambourin», un récit imagé concis et spontané, et à l’aquarelle un monde onirique opulent et coloré dans «Unterm Bett ein Wunderstein», titre qui a obtenu le premier prix du concours suisse du livre d’images en 2006. Ses travaux d’illustration plus récents, comme «Moni heisst mein Pony» (avec Andrea Gerster), nommé en 2022 pour le Prix suisse du livre pour enfants et adolescents, sont de plus en plus marqués par la spontanéité et la liberté de Lika Nüssli, acquises dans le domaine de l’art libre. Les autres travaux exposés ici illustrent également l’étendue de l’œuvre de Nüssli en termes de contenus et de formes: les bandes dessinées, comme l’histoire «Dream of the Rarebit Fiend» sur papier journal, inspirée de Winsor McCay, les histoires de «Sueballä» pour le magazine culturel de Suisse orientale «Saiten», l’affiche de concert pour le groupe «Granville» et l’installation «Je veux un chà du chat!». Lika Nüssli est véritablement une artiste en perpétuel mouvement.
Dans le cadre de l’exposition Joe Sacco au Cartoonmuseum de Bâle et en collaboration avec l’espace d’art «Bblackboxx», Lika Nüssli s’est penchée en 2016 pour la première fois sur la thématique des réfugiés. Pendant une semaine, l’artiste installe alors son atelier dans l’espace d’art, situé à proximité du centre fédéral pour requérants d’asile «Bässlergut» à Bâle, où elle retient ses impressions et ses ren-contres parfois directes avec des réfugiés dans des peintures grand format sur tissu réalisées dans le parc adjacent. Deux ans plus tard, lors d’un séjour en atelier à la Cité internationale des Arts à Paris, elle reprend le thème et travaille en partie à proximité des camps de réfugiés illégaux et des villages de tentes. Là aussi, elle réalise des œuvres grand format sur tissu.
Au fil de son développement comme dessinatrice, illustratrice et artiste, Lika Nüssli s’éloigne de plus en plus des sentiers battus et travaille de manière plus libre et spontanée. Elle explore des stratégies artistiques pour faire confiance à la main plutôt qu’à la tête. Il en résulte des œuvres plus abstraites, plus surprenantes, plus personnelles et donc plus difficiles à décrypter. Lika Nüssli se rapproche d’un travail d’association ouvert et inédit de mots et d’images, par exemple en expérimentant avec des citations absurdes, bizarres et provocantes, qu’elle oppose à des figures abstraites rappelant le style cartoon, réalisées à l’encre de Chine et à l’aquarelle. Celles-ci ne sont pas associées les unes aux autres, mais peuvent être librement combinées par les spectateur-rice-s.
Pour Lika Nüssli, ces travaux créent également un contraste bienvenu à son travail beaucoup plus contrôlé sur les illustrations ou les romans graphiques.
La performance est sans doute le domaine artistique le plus vaste dans lequel Lika Nüssli est à l’aise. Elle réunit les spectateur-rice-s autour d’une action artistique, parfois spontanée, qui implique à la fois les personnes présentes, l’espace et les sons ou la musique. Les performances qui se déroulent dans l’espace public et les installations multimédia de Lika Nüssli sont généralement des réactions au lieu dans lequel elles ont lieu. Ses performances révèlent le processus de travail, qui peut aller du mélange à peine dirigé des couleurs à la peinture précise. Nüssli travaille avec des matériaux très simples comme des draps, des nappes ou des rideaux et des couleurs solubles dans l’eau. La réutilisation des textiles est pour elle une préoccupation importante. La vie antérieure de ses tissus, dont elle n’a pas connaissance, est recouverte lors de la performance par les traces du moment présent et par de nouvelles significa- tions. Ces œuvres en développent une vie propre très surprenante.
La performance peut également faire partie d’une œuvre plus importante. Lors d’une représentation de la pièce d’Elfriede Jelinek «Im Schatten», qui fait d’Eurydice le personnage principal de la légende d’Orphée et Eurydice, Lika Nüssli repeint le mythe sur scène. Le jeu des acteurs, la musique et le dessin en direct – tout ne fait qu’un. «Pour moi, une performance est comme une image tridimensionnelle avec du son et du mouvement», explique Lika Nüssli.
L’artiste utilise également des formats comme les représentations en direct, sous forme de lectures ou bien de séances de dessin en direct accompagnées par des musicien-ne-s, pour compléter et transmettre ses romans graphiques.
Dans le roman graphique autofictionnel «Vergiss dich nicht», Lika Nüssli dresse un portrait ouvert et touchant de sa mère atteinte de démence dans un établissement d’accueil pour personnes âgées. Lorsque la communication par les mots devient de plus en plus difficile, l’artiste se rapproche de sa mère en passant du temps avec elle tout en dessinant. C’est ainsi que se présente une situation familière de son enfance, lorsque sa mère était encore tenancière du restaurant «Zum Schäfli» à Gossau et que la petite Lika était assise dans la salle de restaurant et dessinait.
Lika Nüssli observe sa mère, ses colocataires et les soignant-e-s d’origine étrangère qui regrettent tous et toutes soit le monde d’avant, soit leur pays d’origine. Elle recueille des dialogues et consigne le quotidien monotone de la maison de retraite. Un texte écrit à la main par Lika Nüssli, ressemblant à un journal intime, introduit le livre dans lequel elle se remémore des impressions sensorielles et des expériences telles que les nuits communes à dormir sur le balcon ou l’atmosphère du Schäfli. Le récit proprement dit réunit d’innombrables extraits de dialogues qui, en raison de la maladie de la mère et de ses colocataires, virent le plus souvent au burlesque, à l’absurde ou au comique involontaire. L’artiste utilise des éléments ornementaux pour réaliser des images impressionnantes de l’immersion de la mère dans les souvenirs et les peurs. L’apparence extérieure des personnages répond souvent à leur vécu intérieur et les plantes d’intérieur deviennent elles aussi des créatures exotiques, parfois menaçantes. Une histoire pleine d’humanité, de sensualité et d’humour discret, qui mêle l’autobiographie, le documentaire et la fiction autour d’une relation qui change radicalement, sans ridiculiser personne.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux paysans suisses se retrouvent mobilisés au front, leurs femmes, les plus âgés de la famille et souvent aussi les enfants s’occupant seuls du ménage et des travaux dans les champs. À l’issue de la guerre, les hommes reviennent, mais de nombreuses familles paysannes continuent de vivre dans la pauvreté. Dans le roman graphique «Starkes Ding», Lika Nüssli raconte au fil de plus de 200 pages l’histoire oppressante de son père Ernst, qui, dans le Toggenbourg de l’après-guerre, a été envoyé par nécessité dans une ferme comme enfant placé. Les années insouciantes de ses jeux d’enfant dans la nature et de quiétude dans sa grande famille prennent fin lorsqu’Ernst, âgé de douze ans, est envoyé chez un couple de paysans étrangers pour y travailler, en échange de nourriture, de logis et d’un franc par jour. Le paysan colérique et parfois violent, un ivrogne, et sa femme peu charitable exigent toujours plus du jeune garçon et ne lui donnent rien en retour. La peur, la solitude et le désespoir accompagnent Ernst tout au long de sa journée et le tourmentent la nuit.
Inspirée du style naïf de la peinture d’alpage, ce récit illustré suit le jeune Ernst tout au long de son par- cours de plus en plus difficile, traduit par des images stylisées en noir et blanc, au tracé libre mais déterminé et presque sans bulles classiques. Les dessins expressifs grand format racontent les cauchemars de ce garçon asservi et perdu qui pense que c’est de sa faute s’il ne peut pas vivre chez lui. Peu avant sa majorité, son tourment prend fin et Ernst peut ouvrir un nouveau chapitre de sa vie.
Lika Nüssli réussit une approche complexe et subtile de la jeunesse de son père, de sa croissance dans un environnement naturel et protégé, de la perte sou- daine de son enfance et des dangers psychiques et physiques du placement.
© Bâle Région Mag 2021